Le sang du monstre d'Ali Land

Année d'édition : 2016
Edition : Sonatine
Nombre de pages : 350
Public visé : Adulte
Quatrième de couverture :
Après avoir dénoncé sa mère, une tueuse en série, Annie, quinze ans, a été placée dans une famille d’accueil aisée, les Thomas-Blythe. Elle vit aujourd’hui sous le nom de Milly Barnes et a envie, plus que tout, de mener une existence normale et d’être quelqu’un de bien. Elle a néanmoins beaucoup de difficultés à communiquer avec les ados de son âge et préfère les enfants plus jeunes, plus particulièrement une petite fille vulnérable du voisinage. Sous son nouveau toit, elle est la proie des brimades de Phoebe, la fille des Thomas-Blythe, qui ignore tout de sa véritable identité. À l’ouverture du procès de la mère de Milly, qui fait déjà la une de tous les médias, la tension monte d’un cran pour la jeune fille dont le comportement va bientôt se faire de plus en plus inquiétant.

La première page :

 
Mon avis :



Annie est une victime collatérale. Sa mère, une tueuse de jeunes enfants. Lorsqu'Annie finit par en avoir assez de souffrir et de voir sa mère multiplier les victimes, elle décide de la dénoncer au commissariat le plus proche. Très vite, sa mère est interpellé et son procès est sur toutes les lèvres, dans tous les journaux. Mais voilà qu'Annie est envoyé dans une famille d'accueil en attendant le procès où elle sera le témoin clef. Parviendra-t-elle enfin à trouver un foyer chaleureux ou est-elle un monstre comme sa mère ? Comment trouver sa place lorsqu'on a toujours vécu dans le meurtre et la souffrance ?

Comme indiqué, j'ai eu un gros coup de coeur pour ce thriller. La thématique n'est pas des plus simple et on se retrouve encore avec une enfant maltraitée et torturée par sa propre mère qui s'avère être une tueuse en série de jeunes enfants. Le thème est fort, différent de celui abordé généralement sur la maltraitance des enfants, parce que la psychologie d'Annie est intense, aboutie et crédible. Une adolescente qui nage en eaux troubles. Qui ne veut pas ressembler à sa mère et qui ne peut s'empêcher de vouloir faire du mal aux autres parce qu'elle pense que c'est innée et génétique. J'ai ressenti beaucoup de choses pour Annie, qui changera d'identité pour devenir Milly afin de rester cachée en attendant le procès de sa mère. Cette jeune fille perturbée est très attachante. Vraiment. Sa lutte est perpétuelle contre sa mère, son bourreau, et pourtant la seule personne qu'elle aime. Parce que voilà, Annie aime malgré tout sa mère. Et c'est là où l'histoire devient complexe et ambiguë.

Annie n'est pas seule. Sa mère est en permanence dans son esprit, lui parlant, la guidant de la plus mauvaise des façons qu'il soit. Elle est omniprésente, de jour comme de nuit et Annie ne parvient pas à vivre normalement, de peur de la décevoir ou d'échouer à se faire aimer de sa famille d'accueil. C'est un combat qu'elle pense perdue d'avance, mais Annie essaye par tous les moyens de se faire accepter, même si la jeune fille de sa famille d'accueil temporaire est une garce imbue d'elle même et superficielle qui dès le début lui fait bien sentir qu'elle n'est pas la bienvenue. Et les brimades au lycée de la part de Phoebe et ses amies ne sont rien face à ce qu'à connu Annie durant son enfance :

"Ta voix dans ma tête. C'EST BIEN, MA FILLE, MONTRE-LEUR DE QUOI TU ES CAPABLE.TU DEVRAIS ME REMERCIER POUR TOUT CE QUE JE T'AI APPRIS, ANNIE. Des compliments de ta part. C'est si rare que que je sens que ça fait comme une boule de feu qui me transperce et avale tout sur son passage., jusqu'aux pauvres adolescentes  en face de moi. Je croise leurs regards, les restes du chewing-gum rose d'Izzy collé à mon menton. Elles sont perturbées par mon assurance. C'est bref, mais je le remarque. Leurs lèvres brillantes qui tressaillent, leurs pupilles qui se dilatent légèrement. Je secoue la tête, un geste lent et bien réfléchi. Izzy, la plus gourmande des deux, mord à l'hameçon.
- Donne-moi ton numéro, connasse."
Ses mains me poussent, son visage se colle au mien. J'accueille ce contact avec plaisir. Je suis réelle. Regarde-moi, sens-moi, mais sache que pour moi, tu ne restes qu'une amatrice.
Je secoue la tête.
Une sensation de piqûre sur ma joue, qui s'étend à mon oreille, jusqu'à l'autre côté de ma tête. Une gifle. J'entends les rires admiratifs des copines d'Izzy. J'ai les yeux fermés et l'imagine saluer la foule. J'ai du mal à entendre sa voix, à cause du bourdonnement continu dans mon oreille. Mais les mots ne pourraient pas être plus clairs.
" Je ne vais pas te le demander deux fois."
Et moi, je n'oublie jamais.
Jamais." Page 38
Voilà ce qu'endure Annie (Milly) à longueur de temps au lycée par la fille de son psychologue et sa bande. C'est tout le temps, en continue et plus les pages passent, plus les brimades sont mauvaises et agressives. Cela n'est ni plus ni moins qu'un harcèlement scolaire et je pense que l'auteur avait envie de traiter également de cette thématique très présente tout au long du roman. Et malgré les pensées noires d'Annie, honnêtement on est en colère. En colère parce qu'elle a déjà tant subi qu'on aimerait qu'enfin elle trouve un havre de paix où vivre en toute quiétude. Mais voilà, les adolescents sont méchants entre eux, ce n'est pas nouveau et jusqu'au bout, on se demande si Annie va oui ou non succomber aux pulsions qui semblent faire partie d'elle. 

Annie est vraiment perturbée et quand on commence enfin à saisir ce qu'elle a subi enfant. C'est abject, innommable, forcer ainsi son enfant à regarder la torture qu'elle inflige à un autre enfant avant de le tuer... Autant dire qu'on comprend qu'Annie ne soit pas tout à fait "normale" psychologiquement. Elle n'est pas psychopathe dans le sens où elle sait lorsqu'elle fait quelque chose de mal, mais en même temps elle ne sait pas comment se comporter avec les autres. C'est triste d'en arriver là la concernant et on a du mal à la haïr malgré certaines séquences où la méchanceté est palpable dans tout son être... Annie victime d'une psychopathe, gentille infirmière la journée, bourreaux d'enfants la nuit. Le mélange surprend et choque. 

On en saura très peu finalement sur ce qu'à vraiment fait sa mère, mais les allusions sexuelles suffisent pour comprendre qu'Annie n'aura plus jamais un rapport au sexe normal. Elle n'y arrivera jamais. Annie s'auto-mutile également. Souvent, pour se sentir vivante, trop effacée qu'elle a été par sa propre mère. Pauvre enfant qui a besoin de douleur pour se sentir libre. Mais le plus bluffant dans ce roman, c'est que finalement, la plus dangereuse et cruelle n'est pas celle que l'on croit. Prenons Phoebe par exemple. Une belle garce, vraiment. Je dirais même une belle saloperie. Violente, mauvaise, dangereuse et folle aussi. C'est elle la vraie psychopathe du roman mais qui cache son identité sous un joli minois. En témoigne certaines séquences où elle blesse violemment une de ses camarades. 

" Je regarde Georgie, une des plus petites filles de notre classe, qui grimpe à la corde à noeuds. Elle progresse vite, elle en est déjà à la moitié, et ses mouvements font balancer légèrement la corde de gauche à droite. Je vois Phoebe tapoter l'épaule de Claudine, lui murmurer quelque chose à l'oreille et éclater de rire. Puis elle s'approche de la corde. Georgia est très haut à présent, il n'y a pas de matelas par terre, et je sais ce qu'elles vont faire, je le sens. Je devrais intervenir, mais pour une fois ce n'est pas de moi qu'on se moque. Pas moi qu'on humilie. [...]
Une course de brouette est lancée sur les matelas, les conversations reprennent. La plupart des filles, mais pas Phoebe. Le feu qui brûle en elle, et qui fait qu'elle ne peut s'empêcher de tirer une dernière fois.
Georgie, trop fatiguée pour tenir. 
Je détourne le regard avant qu'elle ne touche le sol. Le bruit, caractéristique. Le craquement de l'os qui se casse. Le concert de rire qui se déroulait jusqu'à il y a quelques minutes - et dont je faisais partie- a laissé place à un grand silence. Puis le silence laisse la place aux "putains". page 116-117
Autant le dire de suite, certains passages font froid dans le dos et pas juste ceux concernant Annie et sa mère, bien au contraire. Le contraste entre Phoebe qui a tout pour être heureuse, enfin presque et Annie qui a tellement subi et aurait donc des excuses pour son comportement est bien mis en avance et l'auteur nous montre que le monstre n'est pas forcément celui que l'on pense. Et ça, j'ai adoré. Prenons par exemple un autre personnage phare de ce roman : Morgane. La petite ado des cités qui crachent, parle grossièrement, fume de la drogue et boit de l'alcool à seulement treize ans. Son visage est le témoin des brutalités dont elle semble être, elle aussi, victime. Est-ce cela qui va lier les deux jeunes filles ? Une amitié profonde, Annie va beaucoup se rattacher à Morgane, lui avouant la vérité, survivant à ses côtés. Une relation belle et qui on l'espère durera tout au long du livre.

Véritable page-turner, on suit le parcours d'Annie qui en plus de devoir affronter une ultime fois sa mère au tribunal va devoir se faire une place et exister en tant qu'elle. Le chemin sera long, semé d'embuche pour cette adolescente qui ne connait pas l'amour et qui doute sans cesse d'elle-même :

"Ce matin, j'ai l'esprit lucide, pour une fois. Pas de bataille à l'intérieur de mon cerveau. J'imagine que ça fait un moment que je sais que ma place n'est pas ici. Un moment également que je sais qu'il n'y a de place nulle part pour les gens comme moi. Si je l'avais su avant de te quitter, je serais peut-être restée, blottie dans un endroit où, certes, l'amour n'était pas très présent, mais un endroit qui m'était familier. Page 289.

Phrase qui résume parfaitement Annie et l'estime qu'elle a d'elle-même. C'est un roman fort, coup de poing et qui prend aux tripes. L'héroïne est touchante, attachante et on lui pardonnerait tout. Le final ne m'a pas tellement surprise, je m'y attendais, mais cela n'a en rien altéré mon avis et ressenti final. Un très bon thriller que je recommande vraiment !

Les plus :
- la thématique de l'enfance auprès d'une tueuse en série
- la thématique de la maltraitance 
- l'héroïne... intense, malheureuse. 

Les moins :
- le final prévisible

 

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